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Huit priorités pour l’Union africaine en 2024

[Traduit de l'anglais]

Que se passe-t-il ? Les dirigeants africains se réuniront à Addis-Abeba pendant la troisième semaine de février à l’occasion du sommet annuel de l’Union africaine (UA). Ce sera l’occasion pour eux de s’attaquer aux nombreux défis auxquels le continent est confronté et de décider de la meilleure façon de renforcer l’intervention de l’UA dans ces différentes crises. 

En quoi est-ce significatif ? Les conflits civils s’intensifient dans de nombreuses régions d’Afrique, tout comme la violence jihadiste. La guerre entre les États est un risque de plus en plus aigu dans certaines régions. La prévention et la résolution des conflits deviennent de plus en plus difficiles à mesure que les mécanismes de réponse collective s’affaiblissent dans le monde entier. 

Comment agir ? En 2024, l’UA devrait explorer de nouvelles façons de traiter les crises de gouvernance ; s’engager pour sauver le Soudan ; résoudre les conflits en Éthiopie et stabiliser la RDC ; maintenir ouverts les canaux diplomatiques dans le Sahel central ; mettre le conflit anglophone du Cameroun à l’ordre du jour ; réactualiser son partenariat avec la Somalie et contribuer à préparer le Soudan du Sud pour les élections.

Le sommet de l’Union africaine (UA) se tiendra les 17 et 18 février, alors que des millions de vies sont menacées sur le continent par la multiplication des conflits. Du Mali au Mozambique, les insurrections mettent en difficulté de nombreux pays, tandis que l’effondrement de l’État se profile au Soudan, après dix mois de lutte féroce pour le pouvoir entre l’armée et les forces paramilitaires de soutien rapide (RSF). La possibilité de guerres interétatiques majeures est également réelle : les tensions dans la Corne de l’Afrique et dans la région des Grands Lacs sont particulièrement alarmantes. L’UA a pris des engagements institutionnels ambitieux et s’est dotée d’outils de médiation et de maintien de la paix, mais elle n’a pas la force politique et financière nécessaire pour en tirer le meilleur profit, en partie à cause du soutien, souvent faible, des États membres. Néanmoins, l’organisation joue un rôle important en faisant valoir les points de vue africains dans les débats mondiaux et en aidant à relever les défis continentaux en matière de paix et de sécurité, qui semblent proliférer de jour en jour. Son sommet annuel est l’occasion pour les États membres d’élaborer un programme pour relever ces enjeux, tout en renforçant sa capacité à le faire.

Bon nombre des difficultés institutionnelles auxquelles l’UA est confrontée sont communes à d’autres organisations multilatérales à une époque de frictions internationales croissantes. Les États membres se replient sur eux-mêmes, protégeant étroitement leurs prérogatives souveraines au lieu d’investir dans la sécurité collective et d’aller contre les tensions géopolitiques qui sapent les efforts de coopération. Pour l’UA, l’argent est également une contrainte majeure. L’organisation dépend fortement du financement international, dont une grande partie provient de l’Union européenne, ce qui l’expose aux critiques africaines pour son supposé manque d’indépendance. 

Malgré tous ses handicaps, l’UA occupe une place unique en matière de maintien de la paix et de la diplomatie continentale. Le forum du G20 des plus grandes économies du monde a reconnu son rôle important en septembre 2023, lorsqu’il a fait de l’UA un de ses membres permanents. L’UA a ainsi pu siéger à la table des discussions sur des questions majeures pour les États africains, telles que la réforme des institutions financières internationales. Trois mois plus tard, le Conseil de sécurité des Nations unies a donné à l’organisation une autre victoire importante en ouvrant la voie à l’utilisation de contributions obligatoires afin de financer les opérations de maintien de la paix menées par l’UA. 

De nouvelles plateformes et de nouveaux outils peuvent offrir à l’UA des possibilités ... pour faire progresser la paix, la sécurité et la prospérité sur le continent africain.

Comme nous le verrons plus loin, de nouvelles plateformes et de nouveaux outils peuvent offrir à l’UA des possibilités, elles aussi nouvelles, pour faire progresser la paix, la sécurité et la prospérité sur le continent africain. Mais pour en tirer le meilleur profit, les États membres devront d’abord contribuer à solidifier les bases de l’organisation. Lorsque les dirigeants se réuniront pour le sommet de la mi-février, plusieurs questions institutionnelles devraient figurer en tête de l’ordre du jour, dont certaines sont liées à des nominations clés. 

Tout d’abord, l’UA doit trouver un moyen de mieux gérer les différends entre deux de ses principaux bailleurs de fonds, le Maroc et l’Algérie. Ces discordes l’empêchent, en effet, de fonctionner correctement. Elles sont d’ordre géopolitique : Rabat considère le Sahara occidental comme faisant partie intégrante de son propre territoire, tandis qu’Alger soutient les Sahraouis du Front Polisario, qui ont proclamé l’indépendance de ce territoire. Ce désaccord de longue date s’est répercuté sur le processus de sélection du nouveau président de l’UA – un rôle essentiellement protocolaire mais potentiellement influent qui, chaque année et de façon tournante, est dévolu à un représentant de l’une des cinq régions du continent. Au début du sommet de 2024, l’actuel président, le chef de l’État comorien Azali Assoumani, devrait céder sa place à un candidat d’Afrique du Nord. Le Maroc et l’Algérie étaient tous deux des candidats possibles pour le poste, ce qui a conduit à une impasse. La Mauritanie a été proposée comme un possible compromis. 

Dans ce contexte, les États membres devraient se concentrer sur deux objectifs. La priorité immédiate devrait être d’encourager les États d’Afrique du Nord à s’unir derrière un candidat et à ne pas laisser les disputes sur la nomination du président entraver le sommet. La priorité à plus long terme est d’encourager l’Algérie et le Maroc à mettre de côté leur raisonnement à somme nulle lorsqu’ils agissent dans le cadre de prises de décision au sein de l’UA. Trop souvent, Alger et Rabat s’opposent de manière réflexe à ce que l’autre soutient. Bien qu’il soit difficile de les amener à changer, les États membres qui ont de l’influence dans ces deux capitales devraient leur faire comprendre le coût de leur différend pour la région d’Afrique du nord et les encourager à trouver un modus vivendi qui permettra à l’UA de poursuivre son mandat de manière plus efficace. 

Ensuite, l’organisation entamera également l’important processus de sélection d’un nouveau président de la Commission de l’UA, qui remplacera le président sortant Moussa Faki Mahamat. Contrairement au président de l’UA, le président de la Commission a un mandat de quatre ans et dirige le secrétariat de l’organisation, dépositaire de son expertise institutionnelle. Le nouveau président sera sélectionné lors du prochain sommet de l’UA, en 2025, de même que le vice-président et les six commissaires qui, avec le président, constituent l’équipe dirigeante de la Commission. Afin de s’assurer que les candidats sont choisis sur la base de leur mérite et non pas uniquement sur la base de tractations entre États et régions, l’UA a décidé de mettre en place un groupe de personnalités éminentes qui examinera les candidatures et établira une liste de présélection. Toutefois, à la fin de l’année 2023, seules trois des cinq régions d’Afrique avaient respecté le délai fixé pour la présentation d’un candidat pouvant faire partie de ce panel de personnalités. Ce retard n’augure pas d’un processus harmonieux ni d’un résultat optimal.

Le futur président de la Commission devrait être quelqu’un de sérieux et posséder toutes les compétences et l’habileté nécessaire pour combler les nombreuses fractures linguistiques et régionales au sein de l’UA. Elle ou il devrait être en mesure de conduire l’UA à travers ce qui risque d’être un cycle de plusieurs années très difficiles et représenter le continent à l’échelle mondiale alors que le besoin d’un leadership visionnaire se fait cruellement sentir. Les pays ont jusqu’à mai 2024 pour présenter des candidats. En les choisissant, ils devraient considérer non seulement les candidatures d’anciens chefs d’État et ministres des affaires étrangères, mais aussi celles d’Africains qui ont excellé dans l’art de gouverner dans d’autres domaines, notamment au sein du système des Nations unies. Pour assurer une représentation équilibrée, ils devraient élargir le groupe de candidats afin d’inclure autant de femmes que possible. Ce principe devrait également s’appliquer à l’inclusion des femmes à la table des négociations de paix dans les conflits examinés ci-dessous.

Si les États africains veulent que l’UA réussisse, ils ne peuvent que renforcer leur propre engagement envers l’organisation.

Enfin, si les États africains veulent que l’UA réussisse, ils ne peuvent que renforcer leur propre engagement envers l’organisation. Les dirigeants du continent attendent beaucoup de l’UA, mais hésitent souvent à lui apporter un soutien politique ferme ou un appui financier suffisant. Le nouveau mécanisme de financement des Nations unies contribuera à financer les missions de maintien de paix, mais il ne couvrira que 75 pour cent des coûts, laissant le continent combler l’écart avec ses propres fonds ou chercher un soutien extérieur. Si l’objectif est l’autosuffisance, les États membres – en particulier ceux dont les économies sont les plus importantes – devront contribuer davantage. Un soutien financier plus fort aux capacités diplomatiques de l’organisation permettrait également d’améliorer son efficacité. Les bureaux de l’UA sur le continent manquent de personnel et les envoyés ne disposent pas de budget de voyage suffisant, comme cela a été le cas pour l’envoyé au Sahel. 

Plus l’UA et ses États membres pourront relever ces défis rapidement et efficacement, mieux l’organisation sera en mesure de relever les défis qui s’enchevêtrent en matière de paix, de sécurité et de gouvernance et auxquels elle sera confrontée pendant l’année en cours. Huit de ces défis méritent une attention particulière et sont examinés plus loin : 

1. Mieux gérer les reculs démocratiques ;
2. S’engager pour sauver le Soudan ;
3. Préserver la stabilité de l’Éthiopie ;
4. Éviter l’escalade entre la République démocratique du Congo et le Rwanda ;
5. Redynamiser la diplomatie au Sahel central ;
6. Mettre le conflit anglophone du Cameroun à l’ordre du jour ; 
7. Renouveler le partenariat clé avec la Somalie ; et
8. Aider le Sud-Soudan à se diriger en toute sécurité vers les élections.

Cette liste n’est pas exhaustive et n’a pas vocation à l’être. L’idée est plutôt de suggérer un ordre du jour pour l’année en cours qui tienne compte – entre autres – des crises qui semblent les plus menaçantes pour la stabilité régionale, qui posent le plus grand risque de catastrophe humanitaire ou qui semblent les plus susceptibles d’être résolues avec l’aide de l’UA. De nouveaux conflits peuvent émerger et émergeront probablement, et d’anciens conflits se rallumeront, d’une manière qui retiendra l’attention de l’UA. Mais en se projetant en 2024, l’organisation peut être assurée que le temps consacré à l’amélioration de ces huit points chauds sera du temps bien utilisé. 

Nairobi/Bruxelles, 14 février 2024

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